Puiser de la chaleur directement dans le magma pour alimenter des turbines et produire une quantité d’électricité dix fois plus importante qu’avec un forage normal : c’est l’objectif ambitieux et fou du projet Krafla Magma Testbed (KMT) situé en Islande.
Segment émergé de la dorsale médio-atlantique, l’Islande est à l’avant-poste de la géothermie mondiale. Grâce à sa géologie unique, le pays produit aujourd’hui 90% de son chauffage et 25% de son électricité grâce à la chaleur du sous-sol.
Mais l’Islande a-t-elle aujourd’hui exploré tout son potentiel géothermique ? Visiblement non…
Des scientifiques s’apprêtent à forer directement dans le magma à proximité de l’un des volcans les plus actifs du monde, le Krafla, situé au nord-est du pays. L’objectif : d’abord d’acquérir des connaissances sur cette roche en fusion grâce à la mise en place d’un véritable « observatoire du magma » ; ensuite, de concevoir un banc d’essai pour faire avancer d’un grand pas la production d’énergie géothermique.
Du magma… juste sous les pieds
L’idée d’aller puiser de la chaleur directement dans le magma du Krafla est née plus ou moins « accidentellement » du Iceland Deep Drilling Project (IDDP). Ce consortium public-privé souhaitait, au début des années 2000, étudier l’exploitation des réservoirs de fluides « supercritiques », une phase à très haute température transportant 3 à 4 fois plus de chaleur que l’eau chaude ordinaire.
En 2009, l’équipe du IDDP avait initié le forage d’un premier puits près du Krafla. Alors que l’équipe de l’IDDP prévoyait de descendre à 4 km, la foreuse s’est soudainement bloquée à mi-parcours : l’équipe venait involontairement de toucher le magma.
Passé la surprise, les chercheurs ont compris deux choses : que la chambre magmatique était située à une profondeur beaucoup moins importante que ce qu’ils attendaient et qu’il était possible de forer dans celui-ci sans provoquer d’éruption volcanique.
Profitant de cette découverte stupéfiante, les chercheurs ont effectué des tests et mesuré le potentiel énergétique de ce site volcanique. Ils ont ainsi calculé que la température des fluides — 900 °C, contre seulement 250 °C pour les meilleures sources d’énergie géothermique — et leur pression (500 fois supérieure à celle de l’atmosphère) pourraient permettre de produire autant d’énergie que 10 puits géothermiques ordinaires. C’est ainsi qu’en 2014, le projet Krafla Magma Testbed (KMT) a été mis en place.
La géothermie au secours du climat
Lors de la COP28 qui s’est déroulée à Dubaï à la fin de l’année dernière, les pays se sont engagés à tripler les capacités installées d’énergie renouvelable d’ici 2030. Traduction pour la géothermie : il faudrait ajouter 48 GW de capacité électrique et de 520 GW de capacité de chauffage et de refroidissement thermique en creusant chaque année 20 000 forages. Problème : actuellement, le rythme est seulement de 1500 forages par an. Pour se donner une chance d’atteindre les objectifs de la COP 28, il ne suffira pas de forer à tout va ! I Exploiter des ressources plus profondes et/ou plus chaudes pour tirer davantage d’énergie d’un nombre restreint de puits sera incontournable.
Repousser les frontières
Le premier forage du KMT, qui sera initié en 2026, a pour but de tester des capteurs de température et de pression ainsi que des matériaux capables de résister aux conditions extrêmes du magma (température, pression), notamment à son intense acidité. Outre l’acquisition de connaissances sur la nature du magma, ces expérimentations permettront d’effectuer des stimulations et de récolter des données destinées à améliorer les systèmes de prévision des éruptions volcaniques.
Le deuxième forage du KMT qui, lui, démarrera en 2028, vise à extraire de la chaleur pour produire de l’électricité. À moyen terme, il s’agit de mettre au point une technologie énergétique appelée « géothermie proche du magma » exploitant les fluides ultra-chauds et pressurisés pour actionner des turbines.
Grâce à cette approche, il pourrait être possible prochainement d’exploiter les nombreuses zones volcaniques de la planète pour produire de l’électricité quasiment neutre en carbone, notamment dans les zones situées le long de la dorsale médio-océanique où le magma se trouve relativement haut dans la croûte terrestre. En associant les techniques d’exploitation du magma pour produire de l’électricité aux connaissances acquises par les plateformes pétrolières offshore, le déploiement de la géothermie proche du magma pourrait même se développer… à vitesse grand V.
Sources :