Hydrogène naturel : ce que l’on sait en 2024

Natural Hydrogen

Considéré, il y a une dizaine d’années, comme une simple curiosité géologique, l’hydrogène naturel fait aujourd’hui l’objet de nombreuses recherches et explorations. Si l’ampleur des réserves est encore à l’étude, les preuves de son intérêt pour décarboner nos économies s’accumulent. Que sait-on aujourd’hui ?

Une énergie totalement décarbonée, qui se renouvelle rapidement, peu coûteuse et 100 % naturelle est présente en abondance à quelques centaines de mètres sous nos pieds : l’hydrogène naturel.

Il y a seulement une dizaine d’années, les émanations de ce gaz à la surface de la Terre et dans certains puits étaient considérées comme anecdotiques. De plus en plus d’acteurs pensent aujourd’hui qu’il a le potentiel pour être exploité et occuper une place importante dans notre futur mix énergétique.

Des contextes géologiques déjà bien identifiés

On a longtemps pensé que l’hydrogène naturel, parfois appelé « hydrogène blanc », était généré essentiellement par deux phénomènes :

  • La radiolyse, qui est liée à la présence, dans la roche, d’éléments radioactifs (uranium, thorium et potassium) émettant des rayonnements capables de transformer les molécules d’eau H2O en hydrogène H2 et en oxygène O2 ;
  • La serpentinisation qui est l’oxydation, en présence d’eau, d’un minéral appelé olivine, présent dans la croûte océanique. Couplée avec une réaction de « réduction de l’eau », la serpentinisation peut, comme la radiolyse, casser les molécules d’eau et libérer de l’hydrogène.

La serpentinisation se produit généralement au niveau des dorsales médio-océaniques, le long desquelles les plaques tectoniques s’écartent du fait de la remontée de matériel mantellique et où la température est très élevée. Mais elle a lieu également à distance de celles-ci, dans les nappes ophiolitiques, quand la croûte océanique se retrouve dans des zones de compression en raison de la tectonique des plaques. On sait aujourd’hui que les conditions de température et de pression qui y règnent permettent, en présence d’eau (parvenant au cœur des roches par des failles), de générer de l’hydrogène.

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Carte des nappes ophiolitiques
Source : Isabelle Moretti, modifié de Lévy et al. (2023)

De nouvelles sources mises en évidence

Mais les recherches avancent et on sait désormais que de l’hydrogène naturel peut aussi être généré dans d’autres contextes géologiques, tels que les cratons, une partie extrêmement ancienne et stable de la croûte continentale.

Ces cratons contiennent en effet des roches riches en fer ou, plus généralement, en minerais, telles que les formations ferrifères rubanées (banded iron formations ou BIF) ou des granites riches en biotite. En présence d’eau, ces atomes de fer vont être directement oxydés et entraîner une réduction de l’eau. C’est au-dessus de ce type de structure géologique que se trouvent souvent les fameux « ronds de sorcières » caractérisées par est une moindre densité de végétation. Observés aux États-Unis, en Russie ou au Brésil, ces cercles sont souvent dus à des émanations d’hydrogène, parfois très importantes.

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Carte des cratons susceptibles de contenir des roches riches en fer et en éléments radioactifs
Les étoiles indiquent les lieux où de l’hydrogène lié à ce type de roche a été découvert, et les points noirs, les localisations des BIF qui coïncident souvent avec des mines de fer.
Source : Isabelle Moretti, modifié de Lévy et al. (2023)

D’autres études montrent qu’une serpentinisation rapide de l’olivine ne nécessite pas forcément de hautes températures pour engendrer de l’hydrogène, ce qui agrandit considérablement les domaines géologiques où la prospection peut être couronnée de succès.

Enfin, on sait désormais que l’hydrogène naturel peut se former au niveau des charbons et d’autres roches riches en matière organique. Ceux-ci génèrent, en s’enfouissant, des hydrocarbures puis, à haute température, de l’hydrogène qui, dans certaines conditions, peut rester en phase gazeuse libre.

Fournir 25 % de la consommation mondiale d’hydrogène

En considérant uniquement l’hydrogène généré au niveau de la lithosphère océanique nouvelle et ancienne et de la radiolyse — donc sans tenir compte de la production par les BIF et autres roches sédimentaires ou intrusives riche en fer et dans les matières organiques —, les chercheurs estiment que 23 millions de tonnes d’hydrogène naturel pourraient être produites chaque année. C’est un quart de la consommation mondiale d’hydrogène. L’Australie seule pourrait représenter à elle seule 6 % des besoins mondiaux.

Comment est produit l’hydrogène aujourd’hui ?

Actuellement, 95 % de l’hydrogène est fabriqué à partir d’énergies fossiles (gazéification du charbon, oxydation d’hydrocarbures et vaporeformage du méthane et gaz naturel), dont près de la moitié par vaporeformage du méthane (« steam methane reforming » ou SMR). On parle d’hydrogène « gris ». Ces procédés restent à ce jour les plus rentables, mais s’accompagnent d’émanation de CO2 dans l’atmosphère. Deux grandes alternatives existent aujourd’hui pour produire de l’hydrogène moins impactant pour le climat :

  • L’hydrogène « bleu » (ou « hydrogène bas carbone ») produit à partir d’énergies fossiles (charbon ou gaz naturel) avec capture et stockage du CO2 émis (carbon capture, utilisation and storage ou CCUS) ;
  • L’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, soit à partir d’énergie nucléaire (on parle alors d’hydrogène « jaune » ou « bas carbone »), soit à partir d’électricité d’origine éolienne ou photovoltaïque (hydrogène « vert » ou « renouvelable »).

Comment l’hydrogène est-il retenu dans la roche ?

Si les conditions dans lesquelles l’hydrogène est généré dans la roche sont mieux comprises, un certain nombre de questions subsistent quant aux possibilités de son exploitation. Car l’hydrogène est un gaz très léger et très réactif capable de diffuser à travers la roche et de « fuiter » dans l’atmosphère où il devient impossible à récupérer.

Mais les données sont plutôt rassurantes sur ce point. Des observations réalisées au Mali, en Australie ou dans les Pyrénées en France, montrent en effet qu’il existe des roches « couvertures », imperméables, capables de ralentir les remontées de ce gaz et même de le retenir, permettant ainsi la formation de véritables réservoirs à hydrogène. On sait par exemple que le sel ou certaines roches volcaniques appelées dolérites sont parfaitement étanches à l’hydrogène. Mais d’autres systèmes de réservoirs et de roches couvertures pourraient exister, la mise en place de puits permettra de les découvrir.

Flux ou stock ?

Par ailleurs, de nombreuses données indiquent que l’hydrogène pourrait être généré en continu, donnant à ce gaz un caractère « renouvelable ».

C’est le cas des puits actuellement en activité, situés à Bourakébougou au Mali, dont la production a démarré il y a plus de 10 ans sans aucune baisse de pression, prouvant que le ou les réservoirs se rechargent en permanence. C’est aussi le cas de l’Islande, région où la ride médio-océanique affleure, et où on a constaté que la vapeur d’eau des centrales de géothermie contient de l’hydrogène généré constamment.

En ce qui concerne la radiolyse, la génération est lente mais la très longue demi-vie des éléments radioactifs de la roche laisse penser qu’ils continueront à émettre leur rayonnement bien au-delà de de la présence des humains sur Terre.

Il semble donc que, quelle que soit la source, on a bien à faire avec un flux continu et non un stock limité.

Indispensable hydrogène

90 % de l’hydrogène produit aujourd’hui dans le monde sert de matière première à l’industrie chimique, fabrication d’engrais (ammoniac), de solvant et de carburant (méthanol), et également de réactif pour raffiner le pétrole brut. Mais ce pourcentage pourrait bien évoluer, car les producteurs d’acier, de ciment, de verre et de métaux envisagent de recourir à l’hydrogène pour décarboner leurs activités. Celui-ci permettrait de remplacer les énergies fossiles quand l’électrification n’est pas possible ou trop coûteuse.
Dans les années à venir, l’hydrogène pourrait également être utilisé comme carburant pour les transports routier, ferroviaire, maritime et aérien. L’hydrogène est envisagé comme solution de stockage des énergies intermittentes (hydrogène « vert »), quand les capacités de production des éoliennes et des panneaux solaires sont excédentaires ou lorsque le kilowatt est peu cher. Le surplus d’électricité produite peut en effet servir à faire fonctionner des électrolyseurs fabricant de l’hydrogène, constituant ainsi un outil de flexibilité du mix électrique.

Pourquoi l’hydrogène naturel attise-t-il autant les convoitises ?

Si l’hydrogène naturel suscite autant d’intérêt, c’est parce qu’à l’heure actuelle, la synthèse d’hydrogène pose un certain nombre de problèmes environnementaux, techniques et économiques qui empêchent d’en produire suffisamment pour répondre à la demande.

D’abord, l’hydrogène produit à partir de ressources fossiles a une empreinte carbone problématique (lire encadré Comment est produit l’hydrogène aujourd’hui ?).

Ensuite, des progrès techniques doivent encore être réalisés concernant sa synthèse par électrolyse à partir du photovoltaïque et de l’éolien (hydrogène vert) ou de l’énergie d’origine nucléaire.

Les coûts de production restent actuellement trop élevés pour faire de ces hydrogènes bas carbone ou renouvelable des sources d’énergie compétitives sur le marché. Le Steam Methane Reforming (SMR) ou de la gazéification du charbon ont beau être insatisfaisantes sur le plan environnemental, elles restent très efficaces pour produire de l’hydrogène à faible coût.

De multiples atouts

Face à ce casse-tête, l’hydrogène naturel apparaît comme une alternative particulièrement prometteuse.

Il pourrait d’abord être produit à bas prix, comme le montrent le projet Hydroma au Mali, où le prix au kilo se situe à quelques dizaines de centimes, et celui en Espagne, au sud des Pyrénées, où il est annoncé à 1 euro le kilo. De manière générale, selon Isabelle Moretti, l’hydrogène naturel devrait coûter « 30 % moins cher que l’un des hydrogènes les moins chers actuels » (SMR) qui est aujourd’hui estimé à 2 dollars le kilo (1,89 euro), soit trois fois moins cher que l’hydrogène vert dont le prix ne cesse d’augmenter.

Ensuite, il a deux avantages majeurs : il n’a qu’un très faible impact environnemental et il pourrait bien être très abondant. Les différentes études et explorations menées depuis quatre ans suggèrent en effet qu’il est présent dans de nombreux territoires sur Terre (voir cartes ci-dessus), ce qui pourrait permettre à de nombreux pays d’améliorer leur indépendance énergétique et de participer à la décarbonation de leurs transports et de leurs industries.

L’exploration s’accélère dans de nombreux pays

C’est en Australie du Sud (avec des entreprises telles que Gold Hydrogen et 2H Ressources), mais surtout aux États-Unis, dans le Nebraska, l’Arizona, le Nouveau-Mexique, le Kansas ou le Midwest (avec les entreprises Desert Mountain Energy, HyTerra ou encore Koloma, soutenue par Bill Gates, Amazon et United Airlines) que les explorations de l’hydrogène naturel avancent le plus rapidement. Mais de très nombreux pays sont désormais entrés dans la course, comme l’indique la carte ci-dessous.

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Source : Wood McKenzie, juillet 2024

La France en pointe

« En France, l’hydrogène naturel est dans la loi depuis 2022 et les premiers permis ont été donnés, pour l’hydrogène ou pour l’hélium », explique Isabelle Moretti.

Emmanuel Macron, pour qui « on ne peut pas laisser dormir cette ressource », a annoncé en décembre 2023 des « financements massifs pour explorer le potentiel de l’hydrogène blanc ». Plusieurs émanations de ce gaz ont en effet été détectées en France, dans les Pyrénées, le Cotentin, la Drôme ou encore la Lorraine.

Le 3 décembre 2023, la startup TBH2 Aquitaine est la première entreprise à avoir obtenu un permis exclusif de recherche (PER) d’hydrogène naturel dans les Pyrénées Atlantique. Appelé Sauve Terre H2, c’est « le premier projet français d’exploration 100 % hydrogène naturel », explique Isabelle Moretti. D’une durée de 5 ans, il devrait permettre d’évaluer les quantités d’hydrogène cachées dans le sous-sol béarnais. Storengy et la startup 45-8 Energy ont quant à eux fait une demande de PER à proximité, toujours dans les Pyrénées Atlantique. Et la société Sudmine en a déposé deux, un dans l’Ain et l’autre dans le Puy-de-Dôme (lithium et hydrogène naturel).

En Lorraine, il y a aussi de bons indices. Des chercheurs du laboratoire GeoRessources de Nancy ont identifié, sur le puits de Folschviller, un fort pourcentage d’H2 dissous dans un aquifère. En mai 2023, GeoRessources et la Française de l’Énergie (FDE) ont déposé une demande de PER pour une durée de 5 ans dit, Permis des Trois-Évêchés dans le bassin minier lorrain.

Un game changer ?

Bien qu’il en soit encore à ses débuts et que de nombreuses incertitudes persistent, l’hydrogène naturel, en tant que ressource abordable en énergie primaire, pourrait bien bouleverser le secteur de l’hydrogène décarboné.

Une révolution énergétique est-elle en vue ? Ces dix prochaines années devraient nous le dire…

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