De plus en plus de pays dans le monde conviennent que la géothermie profonde est une alternative incontournable autant pour produire de la chaleur que de l’électricité de manière décarbonée. Quels sont ses atouts ? Sur quels principes elle fonctionne ? Quels contextes géologiques sont les plus appropriés ? Quelles sont les innovations les plus prometteuses ? On fait le point.
Forer à plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs milliers, pour y puiser des fluides chauds capables de faire tourner les turbines des centrales électriques ou d’alimenter les réseaux de chaleur urbains. Voilà le principe simple sur lequel repose la géothermie profonde.
Stimulée par la crise pétrolière des années 1971, puis mise à l’arrêt au profit d’énergies plus rentables à partir des années 1990, celle-ci fait l’objet depuis quelques années d’un fort regain d’intérêt. Il faut dire que la géothermie profonde cumule les atouts.
Une énergie de plus en plus convoitée
C’est d’abord une énergie renouvelable, locale et très peu carbonée, qui pourrait contribuer à l’indépendance énergétique des nations tout en participant à la transition vers des énergies plus propres. Les progrès technologiques réalisés dans le domaine de la géothermie profonde laissent entrevoir en effet qu’il sera bientôt possible d’accéder à des réservoirs souterrains de chaleur jusque-là difficile à exploiter, et ainsi de favoriser son déploiement (lire plus loin).
Ensuite, contrairement aux autres énergies renouvelables (photovoltaïque et éolien), sa production ne dépend pas de l’heure de la journée ou des conditions météorologiques ; c’est une énergie disponible 24 heures sur 24. Enfin, la géothermie a une faible emprise au sol. Par gigawatt produit, les centrales occupent 8 fois moins de place que les centrales à charbon ou les fermes solaires, et 3 fois moins que les parcs éoliens, ce qui permet de les intégrer plus facilement dans les infrastructures existantes.
Le 18 janvier 2024, le Parlement européen a appelé à investir massivement dans l’énergie géothermique pour accélérer son déploiement ; le sujet était en première position lors de la réunion des ministres de l’Énergie à Budapest le 17 juillet dernier. Aux États-Unis, un projet de loi bipartisane visant à soutenir le développement du secteur géothermique a reçu l’approbation de la commission américaine des ressources naturelles et, à la mi-février, le ministère de l’Énergie a annoncé un investissement de 60 millions de dollars pour soutenir les systèmes géothermiques améliorés.
D’où vient la chaleur de la terre utilisée en géothermie ?
Essentiellement des éléments radioactifs présents dans les roches constituant la croûte et le manteau terrestres : uranium, thorium, potassium… Plus on descend sous terre, plus la température augmente. On parle de gradient géothermique. À l’échelle du globe, ce gradient est en moyenne de 3 °C tous les 100 mètres. Dans les zones volcaniques, où sont présentes des remontées de magma, ce gradient peut atteindre 100 °C tous les 100 mètres.
Quelles sont les zones les plus propices à la géothermie profonde ?
Traditionnellement, la géothermie profonde utilise l’eau chaude – sous forme liquide ou gazeuse – naturellement présente en profondeur dans ce qu’on appelle des aquifères. On retrouve ce type de ressources d’eau chaude dans différents contextes géologiques.
D’abord dans des bassins sédimentaires situés à distance des limites des plaques tectoniques. On parle alors de bassin « intracratonique ». C’est le cas par exemple du Bassin parisien, qui possède aujourd’hui la plus grande concentration de centrales géothermiques du monde. Celles-ci pompent majoritairement les fluides dans l’aquifère du Dogger, situé entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur.
Des réservoirs d’eaux chaudes sont également trouvés dans les domaines appelés « bassins d’effondrement ». Ce sont les zones le long desquelles les plaques tectoniques s’écartent. Dans ce type de zones, souvent accompagnée de volcanisme lorsqu’elles sont actives, la croûte terrestre est amincie et le manteau chaud se trouve à une plus faible profondeur que la moyenne ; le gradient géothermique y est donc plus élevé que la moyenne. Les fluides se trouvent dans des roches dites « chaudes et humides », comme les granites fracturés. C’est ainsi qu’au Kenya et en Éthiopie, le long du rift du Sud-est africain, plusieurs centrales géothermiques ont été construites. En France, le Bassin rhénan, dans lequel se trouve la célèbre centrale géothermique de Soulz-sous-Forêts, est un ancien rift ; le gradient géothermique y reste trois fois plus élevé que la moyenne (8 à 10 °C tous les 100 mètres).
Enfin, on trouve un potentiel géothermique dans les zones volcaniques. Ces zones sont particulièrement intéressantes, car leur gradient thermique est très élevé. Cette particularité permet d’avoir accès à des eaux à très haute température à une profondeur relativement faible. À Bouillante, en Guadeloupe, une centrale géothermique exploite ainsi un fluide à 250-260 °C prélevé au sein d’un réservoir situé à une profondeur comprise entre 500 et 1 000 mètres. L’Islande, qui est une île volcanique à cheval entre deux plaques tectoniques qui s’écartent, produit plus de 90% de son chauffage et 30 % de son électricité grâce à la géothermie profonde et possède plusieurs des plus grandes centrales géothermiques du monde (Hellisheiði, Nesjavellir, Reykjanes…).
Ces trois types de contextes géologiques sont ceux qui sont les plus souvent ciblés de nos jours, mais il en existe d’autres.
Haute ou basse énergie ?
Pour la production d’électricité, on parle de :
- géothermie profonde de moyenne énergie quand le fluide est puisé dans des aquifères profonds (800 à 4000 mètres) à une température de 90 à 150 °C. Elle concerne surtout les projets situés dans les bassins sédimentaires ;
- géothermie de haute énergie quand les fluides exploités sont à des températures dépassant les 150 °C. Ils concernent surtout les fossés d’effondrement et les zones volcaniques.
Pour la production de chaleur, on parle de géothermie de basse énergie. Celle-ci utilise des fluides à des températures situées entre 30 et 90 °C. On les retrouve surtout à des profondeurs allant de 500 à 2500 mètres dans les formations sédimentaires très étendues.
Comment fonctionne une installation de géothermie ?
La géothermie profonde repose sur l’exploitation de l’eau chaude contenue dans un « aquifère » situé à quelques centaines à milliers de mètres de profondeur. Un aquifère est une roche-réservoir naturellement poreuse ou fissurée et suffisamment perméable pour que l’eau puisse y circuler librement. Cette eau, sous forme liquide ou vapeur, va être extraite grâce à un puits ou plusieurs puits dits « de production », puis acheminée vers les turbines d’une centrale électrique ou vers un échangeur relié à un réseau de chaleur urbain.
(Source : Syndicat des énergies renouvelables)
Une fois débarrassée de ses calories, l’eau peut être rejetée dans la mer, dans des cuvettes devenant des lacs, ou encore dans l’air s’il s’agit de vapeur. Cependant, pour éviter tout impact sur l’environnement et garantir la pérennité de la ressource, l’eau refroidie est de plus en plus souvent réinjectée dans le sous-sol à travers des « puits de réinjection ».
Les innovations qui pourraient accélérer le déploiement de la géothermie profonde
Théoriquement, l’énergie géothermique est accessible de n’importe où. En réalité, elle exige de forer à des profondeurs importantes, ce qui fait grimper les coûts et pose de multiples problèmes techniques. C’est une des raisons au fait que la géothermie est restée jusqu’à aujourd’hui une source d’énergie « de niche ». Elle ne représente en effet aujourd’hui qu’environ 0,5 % de la capacité totale d’énergie renouvelable installée. Mais plusieurs innovations laissent penser qu’il sera bientôt possible d’exploiter la chaleur du sous-sol à plus grande échelle. En voici quelques unes.
Les systèmes géothermiques stimulés (Enhanced Geothermal Systems ou EGS)
Principe : Pour pouvoir faire de l’énergie géothermale, il faut impérativement trois éléments : de la chaleur, un fluide et une roche perméable (dans laquelle le fluide peut circuler librement). Dans de nombreuses zones, la roche est suffisamment chaude, mais insuffisamment perméable et/ou trop pauvre en fluide. Dans un système géothermal stimulé, l’injection d’un fluide de manière contrôlée sous terre va permettre d’ouvrir les fractures naturellement présentes, ou encore de créer de nouvelles fractures. Objectif : améliorer la perméabilité de la roche et donc le réchauffement d’une plus grande quantité de fluide. Le forage d’un puits de production va alors permettre de récupérer le fluide chaud pour produire de l’électricité et/ou de la chaleur.
Intérêt : Expérimenté durant plusieurs années dans la centrale de Soultz-sous-Forêts, l’EGS permet d’accéder à des réservoirs de chaleurs qui, sans cette technique, resteraient inexploités.
Projet en cours : Soultz-sous-Forêts est l’une des centrales pionnières en activité à utiliser l’EGS pour produire de l’électricité. La station expérimentale Utah FORGE aux États-Unis s’efforce quant à elle de faire progresser cette technologie et de réduire les risques (essentiellement sismiques) liés à la création de tels réservoirs. Mais de nombreux autres projets dans le monde explorent cette approche.
Exploiter le lithium géothermal pour réduire le coût des centrales ?
Certaines eaux géothermales qui circulent en profondeur dans les granites et les grès contiennent des quantités substantielles de lithium. Ce minerai, indispensable à la fabrication des batteries de véhicules électriques, devrait voir sa demande tripler d’ici à 2030 en France. Son exploitation en cogénération avec l’énergie géothermale pourrait donc contribuer à améliorer la rentabilité des centrales géothermiques. ES-Geothermie en partenariat avec ERAMET sont les premiers à avoir extrait du lithium géothermique en France, sur la centrale de Soultz sous Forets. Si ce procédé parvenait à être étendu à une dizaine d’installations géothermiques, il pourrait permettre de satisfaire la demande française actuelle de lithium.
Le « Super Hot » et les systèmes géothermiques supercritiques
Principe : Il s’agit de puiser des fluides d’une température supérieure à 400 °C, c’est-à-dire des fluides plus chauds que les installations géothermiques traditionnelles (à titre de comparaison, les contextes volcaniques présentent des fluides à « seulement » 200 à 300 °C). À ce niveau de température, et si la pression est suffisante, l’eau devient un fluide « supercritique », c’est-à-dire presque aussi dense qu’un liquide, mais qui tend à se comporter comme un gaz et qui permet de transporter plus efficacement l’énergie géothermique.
Intérêts : Un seul puits utilisant des fluides supercritiques permettrait de produire 10 fois plus d’énergie qu’un puits traditionnel. Par ailleurs, les roches à 400 °C ont des propriétés mécaniques qui sont cohérentes et prévisibles : quel que soit l’endroit du monde où l’on se trouve, si la température de la roche est « super chaude », elle se comportera de la même manière ; cette particularité devrait permettre de concevoir des outils communs et d’augmenter considérablement la prévisibilité du forage.
Défis à relever : Ils concernent essentiellement les coûts des forages (d’autant plus chers qu’ils sont profonds), les techniques de stimulation (plus complexes à de telles profondeurs), la composition des saumures issues de ce type de puits (très fortement corrosives pour les tuyaux).
Les projets en cours : Sur cette carte interactive élaborée par Clean Air Task Force, il est possible de situer les différents projets en cours dans le domaine de roches super chaudes. En Islande, en 2009, une compagnie de forage qui prospectait de nouveaux sites de géothermie aux alentours du volcan Krafla, est tombée accidentellement sur du magma. Cette découverte (une première) a mené à la mise en place du projet Krafla Magma Testbed dont l’un des objectifs est d’expérimenter l’exploitation de cette chaleur pour des projets de géothermie. Le forage devrait commencer en 2025.
Les boucles fermées (Eavor Loop)
Principe : Il s’agit d’un système de mise en circulation d’un fluide caloporteur (dont les propriétés physiques lui permettent de transporter efficacement la chaleur) au sein d’un réseau en boucle fermée de tuyaux horizontaux situé sous terre, à 3 ou 4 km de profondeur. Le transfert de chaleur ne se fait donc pas par convection, comme habituellement, mais par conduction entre la roche et le liquide. Le liquide chaud est ensuite converti en électricité ou transféré vers un réseau de chauffage urbain.
(Source : Eavor)
Intérêt : Ce système ne nécessite pas de réservoir naturel d’eau chaude et peut donc être réalisé dans un plus grand nombre de sites, notamment dans des formations géologiques peu perméables. Comme le système s’autoentretient (l’eau froide étant plus dense que l’eau chaude, elle pousse l’eau chaude vers la surface), il n’y a pas besoin de pomper le fluide, ce qui améliore la performance énergétique. Enfin, ce système est pilotable, ce qui permet de moduler la production d’énergie en fonction de la demande.
Les projets en cours : L’entreprise Eavor Loop mène deux projets actuellellement, un à Geretsried en Bavière (Allemagne) et un à Alberta au Canada. Plus d’informations sur l’Eavor Loop dans cet article détaillé du magazine Recharge.
Les batteries géantes souterraines
Principe : il repose sur l’utilisation d’une installation de géothermie « flexible ». Il s’agit de fermer, pendant quelques heures à jours, le puits de production d’une centrale de manière à créer une accumulation de liquide sous pression dans la roche. Les failles du réservoir vont se dilater et changer de forme sous l’effet de la pression de l’eau, un peu comme des ballons. À la réouverture de la vanne, les fractures reprennent leur forme ce qui crée une augmentation du débit d’eau permettant une augmentation de la production d’électricité.
Intérêt : en produisant de l’électricité sur commande, ces batteries pourraient être une solution pour pallier l’intermittence des énergies renouvelables (solaire et éolien). Elles seraient mises en veilleuse pendant les périodes où la production est abondante et activées lorsque celle-ci vient à manquer.
Les projets en cours : l’entreprise Fervo teste le concept de batterie souterraine dans une région désertique du Nevada, aux États-Unis. Plus d’informations dans cet article du MIT Technology Review.
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Les autres innovations
De nombreux travaux sont menés actuellement pour tenter de faire sauter les verrous s’opposant à une plus large diffusion de l’énergie géothermique afin notamment d’en améliorer les performances et la sécurité et d’en diminuer les coûts : réutilisation des plateformes pétrolières (terrestres et offshores) en unité de géothermie, mise au point de techniques de forage plus performantes à l’aide de micro-ondes (ex. : Quaise), techniques pour lutter contre l’encrassement des tuyaux dans les puits de forage (ex. : technologie Bluesparks), etc.
Des innovations à suivre… de près !
4 réponses à “La géothermie profonde promise à un bel avenir”
[…] C’est l’utilisation de l’énergie contenue dans des fluides présents dans le sous-sol terrestre à une profondeur variant entre 200 à 3000 mètres. […]
Merci pour votre commentaire très intéressant.
[…] C’est l’utilisation de l’énergie contenue dans des fluides présents dans le sous-sol terrestre à une profondeur variant entre 200 à 3000 mètre…. […]
[…] L’énergie géothermique, qui ne représente actuellement que 1 % de l’énergie mondiale, est appelée à jouer un rôle plus important dans le futur mix énergétique. L’opportunité que représente l’énergie géothermique offshore pourrait véritablement changer la donne. Sans compter qu’elle s’inscrit parfaitement dans les objectifs de développement durable du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : énergie propre, action climatique et partenariats pour le développement durable. […]