Capter la chaleur des dorsales océaniques et la transporter vers des plateformes flottantes pour produire de l’électricité, de l’hydrogène ou de l’engrais de manière quasiment décarbonée : c’est le concept ambitieux proposé par Viridien, une entreprise de technologies avancées et de sciences de la Terre.
Les dorsales médio-océaniques au fond des mers recèlent un immense potentiel thermique encore inexploité.
Ces zones d’activité magmatique, le long desquelles les plaques tectoniques s’écartent en se dilatant, présentent un flux et un gradient thermiques élevés et un accès peu profond aux réservoirs. Elles représentent un potentiel géothermique remarquable.
Dans un livre blanc publié en début d’année, Viridien – anciennement CGG – a souligné le potentiel de l’énergie géothermique offshore en tant que ressource énergétique verte d’importance mondiale et a défini un cadre pour son développement responsable. Dans ce cadre, l’entreprise étudie depuis quatre ans la faisabilité de l’exploitation des systèmes géothermiques offshore pour exploiter la chaleur contenue dans ces crêtes.
Ses modèles thermiques prévoient que le potentiel sera plus élevé là où les systèmes sont isolés des eaux océaniques par des couches géologiques imperméables, plutôt qu’au niveau des sources chaudes actives du plancher océanique qui laissent en fait échapper la chaleur.
Objectif : garantir un approvisionnement en énergie de base abordable, fiable et durable.
Véritable « économie bleue »
Au niveau mondial, les dorsales médio-océaniques – également appelées « rifts océaniques » – couvrent une superficie de 65 000 km2. Elles sont présentes dans tous les grands océans. Mais ce ne sont pas les seules zones sous-marines visées par la géothermie offshore. Ce type de source de chaleur existe également le long des rifts inondés – là où ces crêtes s’étendent vers la terre – et dans certaines mers formées dans des zones où la croûte terrestre s’étire.
Schéma montrant l’exploration et le développement des ressources géothermiques offshore à proximité des centres d’étalement du plancher océanique produisant de l’énergie de base, de l’H2O frais, de l’H2 vert et du NH3 avec la possibilité de stocker du CO2 et de fertiliser les océans de manière contrôlée (Image ©Viridien).
Des contextes géologiques déjà bien identifiés
La chaleur des crêtes pourrait être utilisée pour faire tourner des turbines afin de produire de l’électricité verte, mais aussi comme base pour développer toute une chaîne de production.
Par exemple, le volume important d’eau douce produit par le condensat de vapeur pourrait être utilisé pour l’agriculture dans les zones de sécheresse, et l’électricité produite pourrait être utilisée pour électrolyser cette eau et produire de l’hydrogène vert. Cet hydrogène, combiné à l’électricité verte, pourrait à son tour être utilisé pour produire d’autres carburants verts ou des engrais verts (ammoniac).
Certains des sites géothermiques offshore peuvent se trouver dans des « déserts » médio-océaniques en termes de productivité du plancton, en raison du manque de nutriments. La possibilité d’utiliser les saumures géothermiques pour fournir des nutriments qui pourraient permettre le développement de sites d’aquaculture mériterait donc d’être étudiée, d’autant plus que ces sites pourraient servir à la fois de source de nourriture et de puits de CO2.
En outre, les fluides géothermiques remontés à la surface pourraient dans certains cas être utilisés comme sources de produits chimiques et de minéraux (tels que le cuivre) et les projets géothermiques en mer pourraient être associés au stockage souterrain du CO2.
Des impacts vertueux
Cette « économie bleue » pourrait avoir des effets vertueux sur de nombreux secteurs. Elle devrait avoir un impact positif sur le développement d’infrastructures à terre pour la distribution et la commercialisation des produits issus de l’exploitation géothermique offshore, tout en soutenant la formation d’ingénieurs et de techniciens et en renforçant les économies des pays situés à proximité des zones d’exploitation.
En outre, la géothermie en mer contribue à limiter l’utilisation des terres en exploitant les ressources océaniques, ce qui permet de préserver des paysages et des écosystèmes terrestres de grande valeur. En tant que source d’énergie de base régulière et fiable, elle renforce la sécurité énergétique, même dans les régions sujettes aux extrêmes climatiques et aux risques naturels. Grâce aux progrès rapides des technologies de forage, au potentiel de soutien réglementaire futur et à la courbe d’apprentissage de la technologie, les coûts associés devraient diminuer, renforçant ainsi la viabilité de cette source d’énergie durable.
Réutiliser les acquis de l’industrie pétrolière
Un autre avantage de l’énergie géothermique offshore décrit dans le livre blanc de Viridien est qu’elle peut s’appuyer sur des technologies, des matériaux et une expertise déjà développés par l’industrie pétrolière et gazière. Il s’agit notamment de la technologie avancée de forage en eaux profondes et de l’imagerie sismique dans des environnements complexes. Ces technologies permettraient un forage précis et une gestion optimisée des conditions souterraines difficiles, ce qui est essentiel à la réussite des projets d’énergie géothermique en mer.
D’autres éléments de l’industrie pétrolière pourraient également être utilisés. Il s’agit notamment de composants tels que les têtes de puits, les colonnes montantes et les conduites d’écoulement, qui résistent aux pressions élevées et aux effets corrosifs des fluides géothermiques. Autre domaine de synergie : les plates-formes flottantes et les systèmes de pompage et de traitement des fluides, qui résistent également aux hautes pressions et aux températures élevées. Enfin, toutes les techniques d’exploration pétrolière (études sismiques et multiphysiques, modélisation des réservoirs, capacité à interpréter les données, notamment sismiques, et à comprendre les formations géologiques, etc.) seront d’une grande aide pour localiser les zones sous-marines à exploiter.
Qu’est-ce que la demande de brevet Viridien ?
L’innovation du brevet Viridien réside dans sa capacité à combiner l’extraction de l’énergie géothermique offshore avec :
- Une plateforme flottante servant de base aux têtes de puits,
- Production d’énergie géothermique,
- Des options pour des installations de production de carburants verts.
La configuration de la colonne montante reliant le réservoir géothermique à la plate-forme flottante – la principale caractéristique de ce système – permet à la pompe située à l’intérieur d’aspirer efficacement le fluide géothermique du réservoir vers la surface, où il peut être converti en vapeur et utilisé pour produire de l’électricité sur la plate-forme elle-même. À la base de la colonne montante, le fluide géothermique reste dans un état monophasé, ce qui permet de le pomper efficacement et de s’assurer qu’il est acheminé en douceur jusqu’à la plateforme.
Un projet équitable
L’entreprise a publié une demande de brevet (voir encadré ci-dessus) portant sur une combinaison de technologies spécifiques pour l’exploration et le développement des ressources géothermiques offshore. L’objectif de ce dépôt est d’assurer un développement rapide, responsable et équitable de ces ressources.
Avec un tel éventail de ressources géothermiques offshore disponibles et une telle multiplicité d’applications économiques potentielles, il existe un besoin réel et urgent pour les pays développés et en développement de collaborer, en partageant les connaissances, les technologies et l’expertise, afin de garantir une distribution équitable des bénéfices et une meilleure protection des eaux au niveau international.
L’énergie géothermique, qui ne représente actuellement que 1 % de l’énergie mondiale, est appelée à jouer un rôle plus important dans le futur mix énergétique. L’opportunité que représente l’énergie géothermique offshore pourrait véritablement changer la donne. Sans compter qu’elle s’inscrit parfaitement dans les objectifs de développement durable du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) : énergie propre, action climatique et partenariats pour le développement durable.
Source : La géothermie offshore : une ressource énergétique verte d’importance mondiale et son développement responsable, Rebecca Bolton, Rob Crossley, Alex Fowler, Ulrich Schwarz-Schampera et Lucy Njue. Viridien, février 2024.
3 questions à Rebecca Bolton, chef d’équipe géothermie offshore chez Viridien
Où en est le projet de géothermie offshore depuis la rédaction de votre livre blanc en février 2024 ?
La publication du livre blanc sur la géothermie offshore a été un moment charnière pour Viridien (alors connu sous le nom de CGG avant notre récent changement de marque). Il a servi de catalyseur pour positionner notre équipe en vue d’un dialogue ouvert avec les principales parties prenantes, y compris les décideurs politiques, les fonctionnaires, les ingénieurs, les géologues et les utilisateurs finaux.
Il nous a également fourni la plateforme dont nous avions besoin pour sensibiliser au potentiel de l’énergie géothermique offshore, en particulier dans les zones de rift, et pour engager des conversations sérieuses sur son développement futur.
Nous avons profité d’une invitation de l’Autorité internationale des fonds marins (ISA) à un atelier consacré à l’exploitation minière en mer pour présenter l’énergie géothermique en mer comme une solution viable pour la production d’électricité, mais aussi comme un moyen « responsable » d’extraire les minéraux des fluides géothermiques.
Parallèlement, nous avons exploré différentes méthodes d’exploration des ressources et testé notre modèle technico-commercial afin d’en assurer la viabilité. Nous nous sommes également attachés à établir des partenariats et à former des consortiums dans les zones à fort potentiel afin d’accélérer le développement des projets.
Les dorsales médio-océaniques sont-elles les seules cibles de votre projet ou vous intéressez-vous à d’autres contextes tectoniques ?
Bien que les dorsales océaniques soient une option intéressante en raison de leur flux thermique élevé et de leur activité volcanique, d’autres contextes tectoniques peuvent également être envisagés. Les caractéristiques géologiques du site déterminent s’il est adapté au développement géothermique, mais d’autres facteurs, tels que les besoins énergétiques locaux ou le modèle économique, jouent également un rôle important dans la poursuite d’un projet.
Nous avons axé une grande partie de notre communication sur les crêtes dorsales, en particulier les crêtes océaniques, car il est important de maximiser les chances de réussite d’un projet géothermique en mer qui est le premier du genre.
Cela dit, d’autres sites, tels que les zones de subduction et les failles transformantes, les îles volcaniques actives et les monts sous-marins, peuvent également abriter des systèmes géothermiques viables. Ces zones peuvent connaître des flux de chaleur importants, bien que l’hétérogénéité géologique de ces environnements signifie qu’ils peuvent être plus complexes à explorer et à développer. Toutefois, les progrès des méthodes d’exploration, de la modélisation des réservoirs et de la technologie pourraient rendre ces environnements de plus en plus attrayants à l’avenir.
Comment localiser les gisements ?
Pour identifier et localiser les gisements géothermiques en mer, nous prévoyons d’utiliser une série de techniques d’exploration géophysiques, géologiques et géochimiques. Si la stratégie globale est similaire à celle de l’exploration géothermique terrestre, les environnements offshore peuvent bénéficier d’une imagerie sismique améliorée et de méthodes électromagnétiques à source contrôlée (CSEM). Bien que les méthodes sismiques puissent être utiles pour caractériser certains types de zones terrestres, leur coût élevé et les difficultés d’imagerie limitent souvent leur utilisation fréquente. En tirant parti des techniques sismiques offshore avancées, nous visons à réduire l’incertitude sur les ressources et à améliorer les chances de succès géologique, ce qui peut avoir un impact substantiel sur l’économie des projets.
Les études sismiques sont essentielles pour cartographier les structures souterraines, telles que les systèmes de failles et les sources de chaleur, ce qui nous aide à visualiser les réservoirs géothermiques potentiels. En outre, le CSEM pourrait jouer un rôle dans l’identification des variations de résistivité du sous-sol, qui peuvent signaler la présence de fluides géothermiques. Cette méthode pourrait être particulièrement utile en mer, où elle permettrait de différencier les fluides géothermiques conducteurs de la roche environnante, augmentant ainsi les chances de réussite des efforts d’exploration.
Nous pourrions également intégrer des levés magnétotelluriques (MT), des données gravimétriques et des mesures de gradient de température afin d’affiner notre compréhension du sous-sol. Ces techniques, associées à l’échantillonnage géochimique des fluides, pourraient fournir des informations essentielles sur la température, la composition des fluides et le potentiel global d’un réservoir géothermique.
Bien que l’imagerie sismique reste le principal objectif en mer en raison de l’absence d’indicateurs de surface et de son taux de réussite avéré dans l’imagerie des composants clés de la zone, la combinaison de la sismique, du CSEM et d’autres méthodes nous permet d’obtenir une image complète des zones géothermiques potentielles. Cette approche intégrée nous permet de cibler efficacement les zones les plus prometteuses pour la poursuite de l’exploration et du développement.